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/ LE RÉVOLUTIONNAIRE /

Mais le véritable révolutionnaire, c’était bien sûr le Rabash. Je ne l’avais pas vu depuis longtemps dans un tel état d’enthousiasme, d’exaltation. Pour lui, c’était comme une seconde naissance. Depuis des années, il rêvait d’avoir auprès de lui de jeunes disciples, entre vingt-cinq et trente ans. Et voilà qu’ils arrivaient.

Imaginez : un Rabash âgé de soixante-dix-sept ans, ayant passé toute sa vie à Bnei Brak, au sein d’une communauté juive orthodoxe corsetée de règles et d’interdits, et qui, sans la moindre hésitation, ouvrait ses portes à des jeunes laïques, non-religieux, des « sans-Dieu » de Tel-Aviv. Il ne tint compte de rien ni de personne. Ni des menaces voilées de son entourage, ni des objurgations de ses proches — qui exigeaient de lui, de manière catégorique : « Ne les accepte pas ! »

La résistance fut énorme. Énorme ! Parents, connaissances, amis — tous le pressaient avec insistance de revenir sur sa décision. Pas un jour ne passait sans que surgissent des « bienveillants » (manifestement envoyés par quelqu’un !) pour le supplier de refuser ces gens. Bnei Brak ne voulait pas d’eux.

Mais le Rabash ne céda pas. Il possédait une force intérieure colossale. Pour lui, quiconque désirait sincèrement étudier la science de la Kabbale valait plus que tous les autres.

Je le voyais « trancher ». Il ne pesait pas les conséquences, ne se demandait pas ce qu’on dirait, comment on le jugerait. L’essentiel était que des jeunes venaient à lui — voilà ce qui comptait.

Le Rabash agissait d’une manière qu’aucun kabbaliste avant lui n’avait osé. Il brisait les barrières.


/ EN QUEL TEMPS VIVIONS-NOUS… /

Nous vivions à une époque difficile pour la Kabbale.

Elle n’était toujours pas acceptée. On se fiait aux rumeurs et aux mythes qui couraient sur elle. On en avait peur, on n’osait pas y toucher. Certains, même en passant devant l’immeuble où nous étudiions, se couvraient le visage de la main pour ne pas risquer de lire, par inadvertance, l’enseigne : « ARI-Ashlag ».

Je ne parle même pas du Zohar. Personne, nulle part, ne voulait en recevoir les volumes — même gratuitement — accompagnés du commentaire du Baal HaSoulam.

Je me souviens : je chargeais ma voiture de ces livres et les apportais partout, encore et encore. On n’en voulait pas. On me disait :
— Nous n’avons pas la place.

Je leur répondais :
— Mais regardez, vos rayons sont vides !

Et eux :
— Ces livres ne peuvent pas être exposés au regard de tous.

Et quand enfin on m’en accepta une liasse, je fus si heureux que je crus recevoir le présent dont j’avais rêvé toute ma vie. Je courus aussitôt prévenir le Rabash que quelqu’un avait besoin du Zohar ! Mais je n’avais pas même atteint ma voiture que le propriétaire ressortit dans la rue avec mon paquet à la main : il avait changé d’avis, il voulait que je reprenne mes livres.

Voilà dans quel temps nous vivions ! Aujourd’hui, la Kabbale est partout, les kilomètres de textes s’étalent sur Internet. Mais alors, on fuyait même ce mot.

Je me souviens : avant même de rencontrer le Rabash, en 1977–1978, j’allais exprès à Jérusalem, dans une unique petite librairie nichée en sous-sol, sur la « Kikar Shabbat ». Là se vendaient des livres de Kabbale. Le vieux propriétaire en demandait des prix exorbitants : cent, cent cinquante dollars le volume, quand n’importe quel autre livre coûtait trois ou quatre dollars. J’achetai chez lui « L’Arbre de Vie » de l’ARI pour trois cents dollars.

Et quand je lui demandai :
— Pourquoi est-ce si cher ?

Il me répondit honnêtement :
— Ces livres, personne n’en veut. On en a peur. Je ne peux donc pas en commander des lots, je les vends à l’unité. Voilà pourquoi j’en demande pour un seul, comme pour dix.

Cette attitude envers la Kabbale dura longtemps.

Je me rappelle encore : déjà trois ans que j’étudiais auprès du Rabash, je devais faire faire un double de clé. J’entrai dans l’échoppe d’un serrurier à Bnei Brak. Je lui tendis ma clé — et soudain je vis son visage changer. Il pâlit à vue d’œil, recula d’un bond, les mains tendues devant lui, tremblant de tout son corps. Je ne comprenais pas ce qui se passait. Il balbutia :
— Je vous en prie, je vous en prie, ôtez… ôtez cette chose !

Et du doigt, il montrait le livre que j’avais posé machinalement sur le comptoir : « L’Arbre de Vie » de l’ARI.

Je compris aussitôt la cause de son effroi. Je saisis le livre, m’excusai, et sortis de la boutique pour ne pas l’angoisser davantage. D’ailleurs, il me fit la clé en un éclair.

Voilà quel temps c’était, à peine quarante ans en arrière. C’est en ce temps-là que le Rabash enseignait. C’est en ce temps-là que je lui amenai quarante jeunes élèves.


/ AUCUN COMPROMIS /

Il désirait ardemment qu’ils restent, il en rêvait presque. Mais jamais il n’accepta le moindre compromis, puisqu'il s’agissait de leur travail spirituel.

Dès le début, il me demanda d’annoncer la règle de la dîme. Je fus pris de panique et tentai de le convaincre :
— Rebbe, dire cela dès le deuxième jour à un jeune Tel-Avivien non religieux, c’est comme lui dire : « Pars d’ici ! »

Mais le Rabash demeura inflexible. Il exigea que je l’annonce.

Il n’avait nul besoin de leur argent. Simplement, il ne pouvait concevoir que l’on étudie la Kabbale sans prélever la dîme. Pour lui, c’était une partie de l’âme qu’il était impossible de corriger autrement. Comment, dès lors, pouvait-on ne pas la séparer ?

Alors, les jambes tremblantes, j’annonçai :
— Les amis, cette tradition remonte aux temps anciens. Celui qui est réellement venu pour avancer spirituellement doit y consentir.

J’attendais tout, sauf ce paisible acquiescement unanime. Ce fut pour moi une nouvelle leçon : quand il s’agit du spirituel, il faut oublier toute logique terrestre. Ils sentirent aussitôt où ils se trouvaient, et qui se tenait devant eux. Pas une seconde de résistance.

Mais le Rabash leur réservait encore d’autres épreuves.

— Aux célibataires, je ne peux pas enseigner, dit-il un jour.

Et là, je faillis de nouveau à « l’examen ». Je pensai : « Non, ça, c’est impossible. Quel jeune Tel-Avivien accepterait de perdre sa liberté ? »

Pourtant, pour le Rabash, c’était une condition essentielle du chemin : être solidement attaché à la terre, travailler, se marier, avoir des enfants. Le Baal HaSoulam lui-même n’avait pas laissé entrer son fils aux cours tant qu’il n’était pas marié.

Je savais tout cela, mais je croyais que l’époque avait changé, que les âmes descendues aujourd’hui étaient d’un autre ordre, plus basses. J’étais persuadé qu’ils refuseraient net.

J’annonçai. Ils écoutèrent. Et ils acceptèrent. Dès lors commencèrent les mariages, les uns après les autres ! Il y eut une période où nous célébrions deux noces par semaine. Ainsi furent-ils tous mariés. Et lorsqu’en signe de respect pour les traditions de Bnei Brak, ils revêtirent même l’habit local, je compris : un temps nouveau venait de s’ouvrir.


/ LES DIZAINES /

Et en effet, la vie prit feu. Ce jeune hissaron — ce manque ardent — réclamait son comble. Les nouveaux élèves absorbaient avec avidité tout ce que le Rabash expliquait dans ses cours, se jetaient dans les livres : la véritable science leur était dévoilée.

Le Rabash les répartit en groupes. Je me souviens qu’il me demandait de lire leurs noms, de dire quelques mots sur chacun : son caractère, son parcours, depuis combien de temps il étudiait. Rien de tout cela n’était formel ; dans chacune de ses décisions se cachait un sens profond.

Il les répartit en trois groupes, les « dizaines », qui comptaient pourtant chacune quinze ou seize personnes. (Quant à moi, il me plaça dans une dizaine de six hommes — c’était sa décision). Chaque groupe avait son ancien.

De plus, le Rabash fut l’initiateur des rencontres régulières entre compagnons. Tous s’y préparaient avec un soin extrême.


/ CELA VIVAIT EN LUI /

Un matin, nous nous promenions dans le parc. Le Rabash me dit :
— Il faut que tu leur parles avant l’assemblée des compagnons. Explique-leur ce qu’est une assemblée, pourquoi nous la tenons, comment ils doivent s’organiser ensemble.

Je répondis :
— Mais je ne sais pas comment organiser une assemblée. Ai-je donc appris cela ? Avec vous, nous allons au parc, nous parlons. De travail intérieur, je peux encore dire quelque chose, de ce que j’ai traversé, de ce que j’ai entendu de vous. Mais organiser un groupe spirituel ? Je n’en sais rien. J’ai peur que ce ne soit que bavardage creux.

Il resta pensif. Alors j’ajoutai :
— Peut-être pourriez-vous l’écrire ? Et moi, je parlerai à partir de vos écrits.

D’où m’était venue cette idée heureuse ? Évidemment d’En-Haut ! Et à quel moment, si juste ! Je me souviens de son regard à ce moment-là… Nous étions près d’un banc, dans le parc « Ganey Yeshua » — je pourrais encore aujourd’hui le retrouver les yeux fermés.

Il s’assit sur ce banc, sortit un stylo — il avait toujours sur lui un petit carnet acheté une demi-shekel, dans lequel il notait ses courses. Il le tourna entre ses doigts : un si minuscule carnet, qu’y inscrire ?

Alors je compris : c’était un moment de destinée. Impossible de le laisser filer. Je tirai de ma poche un paquet de cigarettes, en dépliai l’emballage, retournai le papier du côté blanc, le posai sur le livre Les Portes de l’Intention et le tendis au Rabash.

Je me souviens de chaque détail avec une netteté absolue, parce que ce furent les instants les plus importants de ma vie — et pas seulement de la mienne. Je dirais qu’à partir de ce moment commença un nouveau décompte du temps.

Le Rabash se recueillit une seconde à peine. Puis il écrivit soudain : « Nous sommes rassemblés ici pour poser les fondations d’un groupe unissant tous ceux qui souhaitent marcher sur la voie du Baal HaSoulam. Afin de s’élever au degré de l’homme… »

Il écrivait sans s’arrêter, et moi je lisais par-dessus son épaule. Les questions surgissaient d’elles-mêmes en moi — questions que nous allions ensuite débattre avec ardeur avant l’assemblée des compagnons : qu’est-ce que “se rassembler” ? qu’est-ce que “la méthode du Baal HaSoulam” ? que signifie “le degré de l’homme” ?...

Et lui continuait d’écrire : « …C’est pourquoi nous nous assemblons ici : pour fonder un groupe où chacun de nous s’efforce de suivre l’esprit du don au Créateur. »


/ UNE DÉFLAGRATION SE PRÉPARAIT /

Les premiers articles du Rabash sur le groupe naquirent sur du papier d’emballage… Ils vivaient en lui, ne demandaient qu’une occasion pour jaillir au-dehors.

De longues années durant, le Rabash avait enseigné dans une petite pièce, à la lisière de Bnei Brak. Tout ce temps, il avait gardé en lui ces trésors, préparé mentalement ces articles — mais il n’écrivait pas encore. L’heure n’était pas venue. Et voilà que le moment arriva. Par un concours de circonstances, j’en fus à la fois témoin et instigateur. Mais ce qui m’étonna le plus, ce fut de découvrir que ces écrits parlaient du groupe !

Je me demandais sans cesse : d’où, chez un homme qui presque n’avait pas de groupe, venait ce sentiment si aigu de sa nécessité ? Cette certitude que seul le collectif pouvait mener l’homme vers la connexion au Créateur ?

Comment, dans L’Étude des Dix Sefirot, au milieu des schémas, des calculs, des mondes, avait-il su discerner une telle importance de la société, des compagnons ? Jamais je n’aurais pu m’y attendre. Et pourtant, le Rabash insistait :
« …Comment l’homme peut-il acquérir cette nouvelle qualité — le désir de donner ? Car cela contredit sa nature. Il n’existe qu’une issue : que plusieurs personnes, possédant ne serait-ce qu’une infime possibilité de s’arracher à l’emprise de l’égoïsme, se rassemblent en un groupe, à la condition que chacun pense à s’élever au-dessus de soi… »

Aujourd’hui, je comprends que cette « explosion » s’était préparée non seulement durant toute sa vie passée, mais encore à travers toutes nos promenades, nos conversations, les clarifications, les questions qu’il éveillait en moi, les états que je traversais et que je lui confiais. Je lui demandais : « Que m’arrive-t-il ? Que dois-je faire ? Comment y répondre ? » — et lui, il m’expliquait.

Souvent, en relisant ces articles seul ou avec mes élèves, je revois la scène qui leur donna naissance, ou bien j’entends notre dialogue dans le parc, lorsque nous parlions précisément de cela.

Là encore, je partageais avec le Rabash ce que j’avais ressenti durant le cours, ou ce qui s’était produit dans le groupe. « Que faire ? Comment être ? » demandais-je. Et voici ses explications — je les retrouve mot pour mot dans l’article.

On me dit parfois : « Si seulement il y avait eu une caméra à cette époque, que notre héritage serait plus riche ! » Non. Le Rabash n’aurait jamais accepté d’être filmé. La vidéo, ce n’était pas pour lui. Mais les articles, les livres — voilà un monde qu’il connaissait, un langage familier, naturel.

Son père avait écrit toute sa vie. Les grands kabbalistes de toutes les générations avaient laissé des notes, des livres. Le Rabash percevait dans les écrits des racines spirituelles très hautes.

Qui, mieux que lui, connaissait la nature des lettres ? Les lettres écrites. Des vecteurs, des forces qui s’entrecroisent. Des combinaisons de lumières. Les lettres résonnaient en lui, se liaient en mots, et dans ses articles, il nous livrait une information d’une valeur inestimable.

Il est dit : « Le Créateur créa le monde avec les lettres. » Le Rabash, lui aussi, créait un monde — en insufflant dans chaque mot qu’il traçait son immense désir : conduire l’humanité au don, au Créateur.


/ ET CE FUT LE COMMENCEMENT ! /

Dès la semaine suivante, je lui demandai un article pour la nouvelle assemblée des compagnons. J’étais plus avisé cette fois : j’avais prévu une liasse de feuilles. Et il ne résista pas. Il voulait écrire.

Chaque semaine, il livrait un nouvel article. Au début, il discutait un peu avec moi ; puis il suivit simplement son ressenti intérieur. Et celui-ci ne le trompait jamais.

Il ressentait tout — chaque être humain. Il avait traversé toutes les misères, absorbé en lui les douleurs, les inquiétudes, les souffrances de chacun. Voilà pourquoi, si souvent, j’entends mes élèves dire en lisant ses articles : « Mais… c’est de moi qu’il parle ! D’où le sait-il ? »


/ IL SAIT ! /

C’était encore au début de mon apprentissage. Nous marchions ensemble dans la rue, et, sous l’impression d’une certaine injustice, je me mis à lui parler du mal.

— Comme il y a de mal dans le monde !
— Mal ? Est-ce vraiment du mal ? — répondit-il.
— Mais enfin, protestai-je, les meurtres, les vols, les violences… le monde regorge de cette ignominie.

Il avançait d’un pas égal et, presque en passant, me lança :
— J’ai tout traversé.

Je m’arrêtai net, me souviens-je, et lui demandai :
— Qu’avez-vous traversé ?
— J’ai été meurtrier, voleur, et pire encore, — dit-il.

Je le dévisageais, scrutant malgré moi : un vieil homme de petite taille, qui avait passé toute sa vie dans des travaux simples, immergé dans un milieu religieux, inséparable de son père, le Baal HaSoulam. Et voilà qu’il me disait avoir tout traversé.

On le regardait et l’on se demandait : mais quoi donc a-t-il traversé, qu’a-t-il vu, lui qui n’avait pratiquement pas quitté ce monde-là, qui n’était allé nulle part, qui n’avait fréquenté personne ?… Il comprit mon regard. Il n’expliqua rien, ce jour-là.

Ce n’est que plus tard que je saisis à quel point mes pensées et mes comparaisons étaient primitives. Car c’était moi qui n’avais rien traversé, moi qui n’avais rien vu — malgré tant de voyages, tant de pays parcourus, malgré mes études supérieures, ma biocybernétique, et les tonnes de livres que j’avais fait passer à travers moi. Rien de tout cela n’était passé en moi.

Mais lui, le Rabash, avait traversé. Il avait dévoilé en lui un égoïsme tel qu’il y avait ressenti qu’il était meurtrier, violeur, voleur, et tout, absolument tout ce qui existe dans le monde — le bon, le mauvais, l’effroyable — il l’avait reconnu en lui.

Il m’expliqua plus d’une fois ensuite que, chez celui qui s’engage véritablement dans le travail spirituel, surgit en lui toute l’humanité. Il prend sur lui, comme siens, tous les manquements, toutes les fautes, toutes les transgressions des autres.

— Car tu dois voir devant toi l’âme commune, disait-il. Et, voyant les défauts du monde, tu n’as pas le droit de t’arrêter. Tu dois t’inclure dans la réparation. Te sentir criminel, voleur, meurtrier. « Déterrer » en toi le juge, indépendamment de ta propre faute. Et ainsi appeler le Créateur — qu’Il juge, qu’Il corrige en toi. Si tu parviens à cela, tu as résolu le problème. Et ainsi chaque fois.

Toutes ces réflexions, ces vécus, ces découvertes, le Rabash les intégra dans ses articles. C’est pourquoi ils sont inestimables.


/ NOUS ACHETONS UNE MACHINE À ÉCRIRE /

Quand je vis que le Rabash ne s’arrêterait plus, je le convainquis d’acheter une machine à écrire. Je lui expliquai que son écriture était illisible, il acquiesça aussitôt.

Nous partîmes à Tel-Aviv, entrâmes dans un magasin, et le Rabash essaya lui-même toutes les machines, s’y adonnant comme un enfant. À peine rentrés à la maison, il s’assit et se mit à taper. À partir de ce moment-là, notre rythme ne changea plus jamais.

Sitôt la promenade dans le parc achevée, nous rentrions. Je lui préparais son café, il montait dans son appartement, et se mettait à écrire. Moi, je restais en bas, dans la pénombre fraîche ; j’ouvrais un livre et j’attendais.

J’écoutais jusqu’à ce que, là-haut, résonne le premier martèlement régulier de la machine.

Aujourd’hui encore, je l’entends en écrivant ces lignes, parfois en lisant ses articles. Pour moi, c’est plus doux que n’importe quelle musique : la musique kabbalistique du Rabash — « toc-toc, toc-toc… ».

Le Rabash tapait d’un seul doigt, corrigeait ses fautes au « Tipp-Ex » avec une minutie extrême. C’était pour lui tout un processus, auquel il s’abandonnait entièrement.

Pratiquement après chaque mot, il posait une virgule — comme pour transmettre son état, pour dire : chaque mot est écrit à dessein, il faut le ressentir, y réfléchir, ne pas se presser de lire. Ainsi, en une semaine, naissait un article de sept ou huit feuillets.

Avec le temps, nous acquîmes une machine électrique… Le Rabash y prit goût. Jamais il ne dérogea à son rythme. Tant de choses s’étaient accumulées en lui au fil des années qu’il ne pouvait interrompre l’élan — il se hâtait.


/ CONNAÎTRE SON ÂME /

Avec le temps, nous avons commencé à lire ces articles en groupe, au début des leçons. Nous lisions une heure, parfois une heure et demie. Le Rabash écoutait, les yeux clos, la tête renversée en arrière.

Il attachait de l’importance non seulement à l’opinion des élèves, mais aussi à celle de nos épouses. À la fin de chaque article, il me disait invariablement :
— N’oublie pas de les distribuer aux femmes.

C’était mon rôle de les copier et de les transmettre par l’intermédiaire de ma femme. La question suivante du Rabash était toujours :
— Alors, qu’ont-elles dit ? Comment ont-elles trouvé l’article ?

Il estimait leur avis, parfois même plus que le nôtre. Ainsi, une fois par mois naissaient des articles écrits précisément en réponse aux questions des femmes.

Aujourd’hui, près de quarante ans plus tard, je vois les transformations que les écrits du Rabash ont opérées en moi, en ses disciples, et en tous ceux qui l’entouraient.

Au premier abord, ils semblaient rédigés sans élégance, comme de guingois, manquant de cohérence, sans fil apparent. Mais c’était parce que nous ne percevions pas le mouvement exact des forces de l’âme, qui se développe précisément de cette manière. Nous ne connaissions pas notre âme. Mais le Rabash, lui, la connaissait.

Et ses articles accomplissaient leur œuvre. Sous mes yeux, des miracles se produisaient. Je me souviens : nous étions en train de lire un texte, quand la porte de la classe s’ouvrit soudain ; entra un inconnu, il prit un café, s’assit et s’intégra à la leçon comme si de rien n’était. Dix minutes plus tard, la porte s’ouvrit de nouveau, et un autre inconnu apparut, se comportant de la même façon. Le Rabash vit ma stupeur, se pencha vers moi et me souffla :
— Celui-là a disparu il y a dix ans, et le second il y a quinze…

C’est ainsi que, dès que nous commençâmes à lire ses articles, d’anciens élèves disparus depuis longtemps réapparurent. Comme s’ils avaient entendu l’appel, ils revenaient — et se comportaient avec une telle aisance, comme s’ils n’avaient fait qu’aller fumer une cigarette ou prendre un jour de congé, et non pas s’absenter dix ou quinze ans.

Tout cela parce que ces articles étaient la « main­écriture » même de l’âme.

Et de quoi l’âme a-t-elle soif ? De soin pour autrui. Le Rabash se souciait de tous.


/ LE SOIN DES AUTRES /

Le Rabash me disait :
— Tu veux sortir des ténèbres ? Commence à prendre soin des autres.

C’était là sa prière. Je l’ai vu à l’œuvre durant la première guerre du Liban, en 1982. Le Rabash se penchait alors chaque heure sur le poste de radio. Il écoutait les bulletins, dans la voiture, à la maison, parfois même en pleine leçon. Les commentaires ne l’intéressaient pas, mais bien ce qui se passait.

Durant la guerre du Liban, il ne lâchait plus son transistor.

Des étrangers venaient parfois assister aux leçons, et cela leur paraissait étrange. Comment ? interrompre un cours sur la Torah, cesser l’étude de choses si élevées — pour écouter les nouvelles ?!

Je me souviens qu’un haredi (ultra-religieux) s’indigna :
— Comment est-ce possible ? Chez nous, on n’écoute jamais la radio, et vous, vous interrompez même un cours pour cela !

Le Rabash lui répondit :
— Et si tu avais là-bas des fils, cela ne te concernerait-il pas ? Je suis certain que ton cœur serait là-bas ! Bien sûr ! Et tu allumerais la radio, et tu écouterais, car tu sentirais que ton destin en dépend. Or toute notre armée est là-bas, et ils sont tous mes fils. Je souffre et je m’inquiète pour eux.

Ce fut pour moi une grande leçon : comprendre comment un kabbaliste développe en lui un sentiment particulier pour son peuple, comment il souffre et s’efforce d’être avec lui dans toutes les épreuves, les peines et les difficultés que traverse le pays.


/ À L’IMPROVISTE – LE ZOHAR /

Septembre 1983. Je me souviens : je me hâtais, un soir, quelque part dans les rues de Bnei Brak, quand soudain je vis sur un mur une affiche : « Ashlag est mort. »

Je m’arrêtai net, les jambes coupées — quel Ashlag ? Je m’approchai en courant, lus de plus près : Shlomo. Alors je compris que c’était le frère cadet du Rabash, Shlomo Binyamin Ashlag, qui venait de s’éteindre.

Je courus chez le Rabash. Il était assis à sa table. Du seuil, je lui lançai :
— Que faisons-nous ?

Je m’attendais à l’entendre dire : « Nous allons nous asseoir pour la shiva. »

Mais il me répondit :
— Nous n’allons nulle part. Nous restons ici, toi et moi. Nous allons étudier.

Ainsi commencèrent ces sept jours uniques, qui, pour moi, « ébranlèrent le monde ». Sept jours durant lesquels nous restâmes seuls, sans visite, sans sortir. Le Rabash m’ouvrit alors ce que nous n’avions jamais étudié en groupe : « La Préface au Livre du Zohar », rédigée par Rabbi Shimon Bar Yohaï. On l’appelle encore la couronne — le Keter — du Zohar.

Le Rabash dit :
— Celui à qui ce livre s’ouvre, c’est tout le Zohar qui s’ouvre à lui.

Il décida lui-même que nous lirions cette préface. Il ouvrit le livre, se mit à lire et à expliquer.

Ce furent sept jours d’envol ! Non que le Rabash expliquât davantage que d’ordinaire ; il ne changea pas de méthode, insistant toujours sur le fait que tu dois toi-même t’efforcer de maintenir l’intention — d’autant plus que le Zohar est une segoula, une force particulière… Mais durant ces jours, il fit naître une atmosphère telle que je craignais de laisser échapper un seul mot.

Cela ne s’écrit pas dans un livre : moi, assis, bouche bée, me sentant mûrir. J’étais un fruit vert, encore impropre, et soudain la terre se fertilisait, la pluie tombait, le soleil me réchauffait, et je comprenais que je mûrissais. Quelque chose entrait en moi — je ne savais pas encore quoi — et j’étais prêt à ne pas dormir, à ne pas manger, à m’abandonner à ce chemin naturel où m’orientaient le Zohar et le Rabash…

« Dans cette salle sont enfouis d’immenses trésors, l’un au-dessus de l’autre. Dans cette salle, des portes sont scellées pour retenir la lumière. Et elles sont cinquante… »

Et le Rabash d’expliquer :
— Les portes signifient un récipient, le désir de recevoir la lumière.

« Dans ces portes, il y a une serrure, et une étroite fente où introduire la clef. »

Voir la serrure dans la porte — c’est comprendre que la lumière ne peut se recevoir qu’en donnant. Et lorsque tu essaies de le faire, tu découvres combien l’ouverture est étroite : accéder à cette serrure, à cette entrée dans le spirituel, n’est pas aisé — c’est l’orifice d’une aiguille. Il faut s’approcher, viser juste, ne pas dévier, y introduire la clef — notre intention — et ouvrir la serrure, accomplir le commandement : donner du plaisir au Créateur.

Autrefois, le Rabash notait les paroles du Baal HaSoulam, et de ces notes naquit le Shamati.

Durant ces sept jours, j’essayai d’écrire derrière le Rabash, et de là se forma mon huitième livre : Le Zohar. Il n’y a rien de moi. J’avais à cœur de n’y rien ajouter. Là, il n’y a que Rabbi Shimon Bar Yohaï et le Rabash.

Ainsi passâmes-nous ensemble ces sept jours inoubliables. Et, à leur terme, le Rabash me dit :
— À présent, j’ai besoin de solitude.

Et il partit pour Tibériade.